MUTATIONS NUMERIQUES
Guides pour le travail social et médicosocial

Contribution du Groupe de travail régional numérique Nexem PACA et Corse
à la Trajectoire du numérique en santé adaptée pour le secteur médico-social

Tout d’abord, le groupe de travail souhaite poser les objectifs attendus de cette feuille de route :

  • En premier lieu, donner les outils aux usagers pour devenir acteurs de leur propre parcours et promouvoir la capacitation et le pouvoir d’agir (empowerment).
  • Faciliter les démarches et parcours des personnes accompagnées (circulation d’information, coordination, décloisonnement des accompagnements, coopération médico-social / social / sanitaire) : il faut rendre fluide, du point de vue de la personne, le parcours et le rendre lisible (par tous les acteurs). Il s’agit de sortir d’un empilement de dispositifs de coordinations qui sont autant d’aveux d’impuissance.
  • Soutenir la transformation de l’offre sociale et médico-sociale en créant des passerelles dépassant le fonctionnement en silos caractéristique d’un secteur hétérogène.
  • Pour les professionnels, se recentrer sur leur cœur de métier en allégeant les temps administratifs ou de compilations statistiques.
Une stratégie numérique adaptée au secteur médico-social comme au secteur social ? 

Au service de la transformation de l’offre

La première remarque globale que le GTR numérique PACA et Corse souhaiterait apporter en complément du document est qu’un éco-système centré essentiellement sur le modèle sanitaire ne peut intégrer de manière satisfaisante le secteur social dans toute sa complexité. En effet, il convient de ne pas oublier les interfaces entre le champ du handicap et la protection de l’enfance (enfants scolarisés en IME et résidants en MECS), celles entre le milieu ouvert en protection de l’enfance et le domicile (TISF intervenant auprès de publics suivi par l’AEMO) ou encore celle entre la grande précarité et le handicap.

Autre exemple qui a soulevé notre inquiétude, le dossier usager informatisé, posé en chantier prioritaire de la feuille de route : il est difficilement envisageable de faire la césure entre l’accompagnement social et médico-social d’une même personne. A notre sens, seule une urbanisation pensée sur un périmètre large permettra de réellement faire du numérique un levier de la transformation de l’offre.

Grâce à un niveau de financement à la hauteur des enjeux

Par ailleurs, le rapport souligne « le sous-investissement de la puissance publique sur le sujet », problématique que le GTR numérique a depuis longtemps mis en avant en invitant ses membres à établir le chiffrage de l’investissement dans le numérique en fonction des différentes « briques » présentées dans la cartographie fonctionnelle SI de l’ANAP. Si le GTR numérique estime que le fond d’amorçage de 30 millions est un début concret, les premiers éléments de chiffrage montrent que l’investissement dans le SI représente entre 3 et 5 % du budget d’une association en fonction des choix stratégiques opérés. Ce premier élément nous montre clairement que le fond d’amorçage – qui est uniquement à destination des établissements du champ du handicap et du grand âge - devra être complété par une seconde enveloppe, notamment via les 600 millions annoncés à l’issue du Ségur de la Santé.
Ainsi, le GTR numérique souhaite rappeler que le volet social doit être absolument intégré dans cette deuxième vague afin de répondre à la logique de décloisonnement, d’autant plus qu’il s’agit bien souvent d’organismes gestionnaires de plus petite taille et possédant une maturité numérique moins avancée.


Au-delà de ces remarques liminaires, la feuille de route entend fixer des « projets emblématiques pour mettre les acteurs du médico-social au cœur des ressources numériques partagées nécessaires aux parcours des usagers », nous souhaitons donc revenir sur ces points saillants et apporter remarques et points de vigilance.


 Le Répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS+) : l’identification des professionnels

L'ouverture de l'enregistrement dans le RPPS aux acteurs médico-sociaux est en effet un "axe de travail majeur pour 2020" car de nombreux professionnels du secteur médico-social ne possèdent pas d’identifiant national. Il s’agit donc du point d’entrée. Ce chantier permettra une meilleure coordination entre sanitaire et médico-social en connectant l’ensemble de ces professionnels aux services numériques tels que la MSS, le DMP, la e-CPS ou encore e-parcours…

Dans un premier temps, le GTR numérique note avec intérêt la possibilité via ADELI pour plusieurs professionnels médico-sociaux d’accéder aux services. Cependant le choix des sept catégories de professionnels nouvellement inscrits : psychologues, assistants de service social, ostéopathes, psychothérapeutes, chiropracteurs, assistants dentaires, semblent davantage influencés par une logique corporatiste et/ou d’exercice libéral que par une utilité fonctionnelle au regard de nos secteurs d’activité. La question de la liste des professionnels à qui sera étendu cette ouverture et le degré d’accès aux différents services (en consultation, en lecture simple) nous semble primordiale. Il convient qu’elle soit adaptée à nos métiers et conçue en lien avec le respect du secret (médical ou social).

Le déploiement de l’INS : l’identification des bénéficiaires

L’INS est un socle de la construction d’un système d’information cohérent et fiable. L’objectif de l’INS est de sécuriser le référencement des données de santé des usagers et d’en faciliter l’échange, c’est donc un facteur de qualité et de sécurité.

Mieux connaitre le parcours de vie de la personne, les accompagnements et les éventuelles ruptures permet d’affiner au mieux le projet personnalisé à mobiliser pour régler la problématique sociale. En outre, le fait de ne pas systématiser la répétition de son histoire tout au long du parcours d’accompagnement peut être vu comme un soulagement pour l’usager et supprime des temps administratifs redondants qui peuvent être consacrés à l’usager et à ses besoins. Le numérique peut permettre la transmission des éléments essentiels, leur complétude et de garantir leur fiabilité dans le temps.

Le GTR numérique tient à poser plusieurs points de vigilance :

  • Se pose la question des éditeurs de logiciels : aujourd’hui seuls quatre éditeurs sont agréés INSi : Logemed, Mediware, EDL et Mipih4. Or le référencement INS va devenir obligatoire à compter du 4 janvier 2021. Nous avons bien en tête que le fléchage des 30 millions d’euros du fonds d’amorçage servira prioritairement à cette mise à niveau. Cependant, il y a fort à parier que des fonds complémentaires soient nécessaires.
  • Se pose la question de l’accès : actuellement l’usage de l’INS est restreint à un cercle restreint d’acteurs. Illustration : aujourd’hui un éducateur spécialisé ne saurait avoir accès aux données référencées avec l’INS. L’INS doit être qualifié via l’accès à un téléservice lequel n’est possible que via la CPS ce qui actuellement exclut très largement les professionnels du social et médico-social … Ceci peut paraitre très délicat en lien avec l’obligation de référencer les données de santé avec l’INS à partir de janvier 2021.
  • Se pose également la question des personnes qui vont exploiter la matière recueillie et les usages qui vont pouvoir être faits : les organismes gestionnaires vont davantage se tourner vers des métiers de pilotage / d’optimisation des accompagnements, de référents de parcours. La dimension de formation et d’accompagnement des personnels est indispensable.
  • Enfin, comment assurer le consentement de la personne, son contrôle sur ses données ? Pour le médico-social, l’INS signifie aussi développer l’identitovigilance ce qui est un chantier très important en soi.

La messagerie sécurisée de santé

L’objectif est de sécuriser le cadre des échanges et de l’adapter aux spécificités du secteur social et médico-social pour assurer une meilleure prise en charge des usagers.

Le document « Trajectoire du numérique en santé pour le médico-social » promeut une solution nationale de type Mailiz. Or actuellement, les prérequis (fixés par l’ANS) pour utiliser Mailiz sont
- être professionnel de santé
- disposer d’une carte CPS
- disposer d’un lecteur de carte à puce.
Comme le GTR l’a déjà pointé, peu de professionnels du secteur médico-social et presqu’aucun du secteur social ne remplissent ces conditions. En outre le prix d’un lecteur varie entre 150 et 200 €. D’autres points de vigilance nous apparaissent important à soulever :

  • Quels usages métiers de la MSS ? L’enquête de l’ANAP rappelle que seuls 57 % des ESMS déclarent mettre des équipements informatiques à la disposition de l’ensemble des profils métiers, alors que 96 % des ESMS déclarent équiper les professions administratives. Les « cœurs de métier » et l’accompagnement direct des usagers sont donc moins directement concernés par l’investissement SI. On peut se demander quels professionnels vont mobiliser la MSS, pour quels usages (quels échanges d’informations / de documents). Il convient aussi de souligner les risques potentiels de fracture numérique au sein des ESMS.
    Ce sujet revêt un caractère urgent pour rendre réactif l’échange d’informations et la mise en œuvre des mesures de protection, aujourd’hui peu réactive, entre acteurs non coordonnés (ex. Justice, Social, Médical). Cela peut accélérer la transformation au bénéfice des personnes.
  • Comment définir le cahier des charges ? Qui le définit ? Quelles catégories d’accompagnements recenser ? Quelle intégration dans le SI et quelle convergence avec le national (cf. Action 22 de la feuille de route) ?

NB : en PACA le déploiement test va se faire sur les FAM et MAS. Le GTR se propose de solliciter le GRADES PACA, IESSUD sur ce sujet pour évoquer toutes les problématiques ci-dessus.

Le répertoire opérationnel des ressources (ROR) :
"un autre prérequis pour favoriser la fluidification des parcours". La feuille de route fixe désormais un "peuplement massif" du répertoire par les établissements.

  • Pour que le peuplement du ROR puisse être effectif, le GTR plaide pour une stratégie gagnant/gagnant. Le peuplement du ROR ne doit pas simplement représenter une tâche de saisie supplémentaire pour les ESMS, mais bien être intégré aux SI des ESMS. Ainsi, le ROR sera aussi un outil de communication / de référencement important. Cependant, le remplissage complet est compliqué (il y a une sémantique du ROR), les ESMS doivent donc être accompagnés : pas seulement en termes de formation mais aussi par la mise à disposition de ressources. Le peuplement du ROR est une problématique aussi bien pour le gestionnaire (dimension stratégique) que pour les ESMS (dimension très opérationnelle de suivi de la qualité des prises en charge et des orientations). Une nouvelle fois, IESSUD peut être un appui intéressant pour « acculturer » à l’utilité, la pertinence et le remplissage du ROR.
  • Accessibilité au ROR : en raison du caractère personnel de certaines données (même s’il ne s’agit pas de donnée de santé), il convient de qualifier les différents niveaux d’accès des professionnels.
  • Mise à jour du ROR : désigner des référents en établissements qui aient une vision transverse et soient en mesure de régulièrement alimenter le ROR (par exemple : référent qualité, chef de service).

Formation et montée en compétence des professionnels :

  • Pour le GTR numérique, l’apport majeur du numérique serait d’augmenter le pouvoir d’agir des usagers. En vue de cela, il devra fluidifier la circulation de l’information au sein d’une structure mais aussi avec ses partenaires extérieurs pour faciliter la coopération entre les professionnels œuvrant autour de la personne accompagnée. Le numérique du social et médico-social doit donc permettre d’augmenter la qualité de la relation sociale et de la prise en charge, des parcours et faciliter la participation de l’usager.

En ce sens, il nous semble tout particulièrement important de mener un travail sur la perception des travailleurs sociaux quant à « l’irruption » du numérique dans les cœurs de métiers et évaluer l’impact sur les pratiques professionnelles (traçabilité accrue de l’information, représentations de déshumanisation, de standardisation, d’éloignement). Les questions de l’accompagnement au changement et de la formation sont capitales, l’action 28 de la feuille de route est à concrétiser à ce sens. L’action 10 sur l’interopérabilité instaure la standardisation sémantique. Si nous soutenons parfaitement l’idée que « parler un langage commun » permettra une plus-value à notre secteur, il faut parler un langage simple, compréhensible et accessible et garder à l’esprit que nous accompagnons des humains dont les spécificités ne sont pas réductibles.

  • Le GTR plaide également pour un numérique qui améliore les conditions de travail des professionnels en réduisant les temps administratifs et les actions récurrentes (double saisie notamment sur Via Trajectoire) afin de se recentrer sur le cœur de métier. Cette évolution permettrait de redonner du sens au travail social et le recentrer sur son identité première : l’accompagnement. Ainsi, une mutation dans ce sens nous semble intéressante et stratégique au niveau de l’attrait vers nos professions, en modernisant les pratiques des équipes et l’image du secteur.

Le virage inclusif transforme l’activité des professionnels en des accompagnements plus modulaires, des plateformes de service, des liens entre domicile / établissement. Le numérique doit permettre de créer du lien et de fluidifier.

Développer des communautés de pratiques et investir les instances du numérique en santé sur les territoires

Le GTR souhaite participer au développement des collectifs régionaux regroupant les acteurs du numérique afin de porter la parole du secteur social et médico-social et mutualiser les connaissances. A cet égard, nous avons développé depuis plusieurs mois une relation de confiance avec le GRADES, IESSud en charge de l’accompagnement du déploiement de la feuille de route « accélérer le virage numérique » sur les territoires.

L’interopérabilité

Les ESMS sont confrontés à un véritable enjeu d’urbanisation du poste de travail des professionnels. A titre d’exemple, les outils de télémédecine sont nombreux et se déploient actuellement sans intégration aux logiciels métiers. La récupération du compte-rendu de téléconsultation au sein du logiciel métier (DUI) est un véritable enjeu.

  • Le GTR plaide pour le développement d’un DUI, fondé sur les besoins réels et bien identifiés des professionnels à partir d’une réflexion sur les pratiques et les usages - avec quelques fonctionnalités clefs, urbanisé avec quelques services numériques socles (MSS, DMP, e-parcours, e-prescription, télémédecine) en fonction de la maturité des structures.

Il semble prudent au GTR de rappeler qu’avant d’implémenter les services socles, un effort de financement doit être fait, notamment auprès des plus petites structures pour généraliser le DUI. De nouveaux, il y a fort à parier que l’investissement dépassera largement le fond d’amorçage de 30 millions d’euros.

Par ailleurs, afin de développer une urbanisation cohérente, il convient de réfléchir à un accord cadre en consultant les fédérations et à diffuser auprès des fournisseurs de DUI. Le GTR attire l’attention sur la composition du cahier des charges en termes de sécurité des données, d’interopérabilité et de possibilité d’être raccordé à d’autres réseaux ... Il insiste pour que l’action 21 ne se déploie pas seulement sur l’axe équipement en DUI mais aussi sur celui de la mise à niveau de l’existant, avec la nécessité d’impliquer davantage les organismes gestionnaires et pas seulement les ESSMS.

Le dossier médical partagé

2021 marquera la poursuite du déploiement dans les EHPAD et 2022, l’élargissement de l’ouverture du DMP en consultation et en alimentation par les professionnels du médico-social (FAM MAS IEM CAMPS) Une nouvelle fois sur ce chantier, le niveau d’habilitation - qui a un accès et quel niveau d’accessibilité ?– se pose ainsi que la prise en compte du secteur social…

L’appel à projet Structures 3.0 ouvert au secteur social et médico-social

Le premier appel à projets du programme Structures 3.0 le financement de nouveaux usages numériques en santé dans l’ensemble de nos secteurs, ce dont le GTR se félicite. Celui-ci vise à permettre d’expérimenter et d’évaluer en “conditions réelles” de nouveaux usages du numérique en santé et d’en partager les apprentissages.


 Enfin, pour penser les bons éco-systèmes, le GTR souhaite rappeler un préalable au « virage numérique » promu dans la feuille de route : la réduction des fractures numériques. Celles-ci sont constatées parmi les personnes accueillies ou accompagnées comme parmi les professionnels et les gestionnaires. Il s’agirait donc d’actionner plusieurs leviers : veiller à la généralisation des équipements, favoriser l’accessibilité technique, promouvoir les médiations numériques susceptibles d’intervenir auprès des usagers comme auprès des professionnels et investir dans les compétences autour du numérique afin de montrer, de manière incontestable, que le travail social peut être enrichi par l’outil numérique.